Un fermier découvre un beau matin que l'une de ses poules pond des œufs cubiques. Ne sachant pas trop s'il s'agit d'un miracle ou d'un incident isolé, il décide d'attendre quelques jours pour voir si sa poule continue de pondre des œufs cubiques, ou si elle se remet à pondre des œufs normaux.
Une semaine passe, puis une seconde semaine, puis une troisième... et la poule pond encore et toujours de beaux œufs en forme de cube. Convaincu d'être le propriétaire de ce qui pourrait devenir une poule aux œufs d'or, dans tous les sens du terme, le fermier prend contact avec le ministère de l'Agriculture. Sceptique, l'attaché ministériel demande qu'on lui envoie quelques photos avant d'envisager de se déplacer. Le fermier s'exécute, et l'attaché découvre, stupéfait, une pile d’œufs cubiques parfaitement empilés les uns sur les autres. Il en réfère aussitôt à son supérieur, qui le missionne pour faire le déplacement, acheter la poule au fermier ou la réquisitionner s'il ne veut pas la vendre, et emmener l'oiseau à l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'alimentation et l'Environnement. De cette manière, explique-t-il à son subordonné, ils disposeront de données scientifiques et pourront envisager d'informer le grand public de cette découverte extraordinaire.
L'attaché ministériel prend le train, attrape un taxi à la sortie de la gare, et après une bonne heure de route en rase campagne, il se retrouve devant une vieille ferme. Sur le pas de la porte, le fermier le salue. Soulagé d'être enfin arrivé à destination, l'attaché ministériel demande au taxi de l'attendre, et il part entamer la discussion avec le fermier.
Après avoir constaté que la poule pondait bien des œufs cubiques, l'attaché ministériel négocie avec le fermier, et ils finissent par tomber d'accord sur le prix de cinq mille euros pour la poule.
L'attaché emmène la poule dans une cage, arrive à la gare, remonte dans le train avec la cage, qu'il installe confortablement sur le siège voisin du sien, et rentre à Paris pour déposer le précieux volatile au service que lui a précédemment indiqué le chef de cabinet. La poule est accueillie avec toute l'impatience que peut faire naître chez les scientifiques une pareille curiosité de la nature.
Deux jours plus tard, la nouvelle tombe comme le couperet de la guillotine : la poule pond avec la régularité d'un métronome des œufs... on ne peut plus normaux. Panique au cabinet du ministre — que son chef de cabinet a cru bon d'informer de l'incroyable découverte. Le chef de cabinet renvoie son subalterne chez le fermier, avec pour mission cette fois-ci de ramener le fermier lui-même pour lui faire constater la chose.
Nouveau déplacement... Gare, taxi, ferme... Discussion avec le fermier... Ferme, taxi, gare... Et voilà le fermier aux portes de l'INRA avec l'attaché ministériel, pour constater que sa poule pond des œufs... en forme d'œuf. Le fermier est consterné. Lui qui se voyait riche... Il va même certainement devoir rembourser les cinq mille euros qu'il a perçus, et qu'il a déjà bien entamés. Fort triste de ce qui lui arrive, il caresse doucement la poule et lui demande à mi-voix :
– Eh bien Cocotte ! Tu vas bien ? Tu t'ennuies de la maison ?
La poule le fixe, la tête penchée sur le côté. Le fermier continue :
– Dis-moi : pourquoi est-ce que tu ne ponds plus que des œufs normaux ?
La poule penche la tête de l'autre côté, et le fixe à nouveau, avant de répondre :
– Maintenant que je suis fonctionnaire, je ne vois pas pourquoi je continuerais à me casser le cul...
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