Le corps
Conte étrange
626 mots
La premiĂšre fois que ça se produisit, je crus Ă une hallucination, Ă un simple trouble de la vue. Mais je dus le reconnaĂźtre, le phĂ©nomĂšne revenait rĂ©guliĂšrement. Une petite bosse surgissait du mur et disparaissait aussitĂŽt. Le phĂ©nomĂšne se produisait toujours en pĂ©riphĂ©rie de mon champ de vision. Le spĂ©cialiste de la vue me prescrivit un peu de repos, tout allait rentrer dans lâordre, mâassura-t-il.
Sauf que ça ne diminua pas, bien au contraire. La chose devenait carrĂ©ment gĂȘnante. Je nâosais plus inviter personne. Je me retrouvai Ă arpenter la maison, me tenant Ă lâaffĂ»t du moindre renflement. Je ne sortais plus, je ne voulais plus voir personne. Quelque chose m'attirait, mais je ne savais dire-quoi. JâĂ©tais devenu possĂ©dĂ© par une passion dĂ©sormais obsessive.
Au fil du temps, ma copine me texta quâelle ne voulait plus me voir, mes amis cessĂšrent de mâinviter, mon patron me congĂ©dia. Mais je nâen avais cure, je nâen avais plus que pour ces protrusions Ă©lusives qui surgissaient des murs pour aussitĂŽt disparaĂźtre. CâĂ©tait Ă©puisant.
Les choses en restĂšrent lĂ , jusquâĂ ce jour oĂč jâeus lâidĂ©e de caresser doucement lâendroit dâoĂč le renflement venait de surgir. Jâeus la surprise de constater une douce chaleur. CâĂ©tait, comment dire ? Une rondeur, une enflure qui se formait sous ma main, dâabord trĂšs lĂ©gĂšre, puis un peu plus relevĂ©e Ă mesure que je poursuivais. Et si ce nâĂ©tait pas assez, cette rondeur Ă©tait accompagnĂ©e dâune vibration. Je retirais ma main et le phĂ©nomĂšne sâarrĂȘtait. Je compris bientĂŽt que si je caressais lâendroit avec insistance, en prenant mon temps, en dĂ©sirant que ça se produise, alors lâenflure devenait une bosse qui sâallongeait tant que je poursuivais avec⊠Mmm, câest embĂȘtant, mais je dois le dire honnĂȘtement, avec tendresse.
Au fil des jours, je deviens plus habile et je rĂ©alisais quâen tenant les doigts Ă©cartĂ©s je pouvais faire sortir cinq protrusions en mĂȘme temps. Et puis il arriva que les digitations que je tirais du mur ne pouvaient plus sâallonger et que la forme tirĂ©e de cette maniĂšre s'aplatissait et que ce plat sâil Ă©tait tirĂ© se prolongeait lui-mĂȘme Ă force dâinsistance en une forme tubulaire. Je me frottais les yeux, je venais dâextraire un bras, un bras parfait, un bras fĂ©minin, harmonieux et souple. Je caressais cette main et la main me rendit ma caresse. Et alors le bras se dĂ©plaça tout au long du mur, mâinvitant Ă le suivre. Il me fit courir partout dans la maison entrant et sortant dâun mur Ă lâautre, sa jolie main me faisant signe de venir. Lorsque je fus Ă bout de souffle, je mâadossai au mur, le sourire content. Si jâĂ©tais devenu fou, ma folie Ă©tait la plus douce qui soit, parce que le bras sâapprochait de moi et sa main me caressait tantĂŽt les cheveux, tantĂŽt le visage avec cette tendresse indescriptible. Et puis au fil du temps je fis sortir un deuxiĂšme bras, celui-lĂ appelĂ© par ma main gauche. Les deux se dĂ©plaçaient librement le long des murs. Un jour, ils eurent lâidĂ©e de me servir un cafĂ©. Je leur demandais Ă la blague de rĂ©curer les casseroles et ils mâobĂ©irent, toujours avec ce plaisir simple, avec cette tendresse des mains qui ondulent dans la souplesse de la jeunesse. Jâestimais que ces bras devaient avoir dix-huit ans. Je mâapprochai du mur et ils mâenserraient dans une effusion dâamour doublĂ©e dâune sensibilitĂ© et dâun dĂ©vouement indescriptible envers le bonheur de ma personne.
La suite vous fera dresser les cheveux sur la tĂȘte et peut-ĂȘtre mĂȘme vous attrister. Vous serez mes juges ou au contraire mes consolateurs, je ne sais quel camp vous choisirez. Il me tarde de tout avouer, ne serait-ce que pour libĂ©rer mon Ăąme du trouble dans lequel elle est tombĂ©e.