Kanekowo[...] Il sort une bombe de peinture violette. Il la secoue trois fois, projette un coup de peinture en l'air. Puis, il s'accroupit, prend un air concentré, et commence à écrire sur le ventre de ma sœur.
Après quelques mouvements adroits, il se relève, prend son sac, et sort par une autre porte que celle où je suis dissimulée. Je rentre en silence, et me cache derrière une caisse rouillée. Une fois au-dessus de ma sœur, aucune réaction à mon arrivée. Elle regarde un point dans le vide, perdue au plus profond d'elle-même.
J'observe son corps. Il l'a anéanti. Mais, surtout, il l'a humilié. Et tandis que je cherche où il a bien pu écrire, je le vois.
Sur mon ventre, entre sa poitrine et son bassin, par-dessus les caillots de sang et les traces de coups, il était écrit en anglais, en violet:
"J'étais ici. Licht.''
"J'étais ici, Licht".
Je relisais cette phrase une dizaine de fois. Puis, j'imprimais ce nom au fond de mon crâne. Tu vas voir, toi, je vais te retrouver...Et je jure que je te tuerais, espèce de minable, quand je serais assez forte.
Je suis tellement en colère. Je suis mais, pire qu'enragée, en fait. J'aimerais m'en arracher les cheveux, j'aimerais tuer quelqu'un, tellement mes sentiments m'écrasent, et j'ai besoin de libérer la tension. Dans ma tête, je me vois avec un couteau, planter cet individu dix fois, vingt fois, cinquante fois. Jusqu'à ce qu'une mare de sang s'étale à mes pieds, tandis que je rirais, le sourire montant depuis la lèvre inférieure jusqu'aux oreilles. Un peu comme ces monstres dans les films d'horreurs, ou Kuchisakeonna-san, qui les a inspirés.
Je me lève, titube, et m'appuie contre un mur. Puis, mes jambes me lâchèrent, et je vomissais. L'odeur de sang, le viol, le message, la trahison, la rage, la peur, ma lâcheté, ma sœur morte psychiquement, ce connard, mes visions de meurtres qui me dégoûtent plus qu'elles me soulagent, tous mes sentiments, ma rage, tellement de rage, de frustration, de colère, de haine, d'abhorration même. Je le tuerais, je le tuerais, je le tuerais même plus qu'on peut tuer quelqu'un. Je l'écorcherais vif, je lui ferais subir le supplice du rat, je l'égorgerais comme le porc qu'il est.
Mes sentiments débordaient. Impossible de m'arrêter. Je prenais un couteau, et l'appuyais contre mon ventre. Une goutte de sang perla sur la lame de l'arme blanche, en même temps qu'une larme de mon âme.
Pour arrêter la douleur, il suffisait de faire seppuku et tout serait fini. Je n'aurais plus à souffrir, je pourrais goûter au plaisir de la mort. Si seulement...
Mais j'en étais incapable. Complètement incapable. Je ne suis même pas en mesure de protéger ma sœur, et vous voulez que je tente de me suicider ? Impossible.
Je laissais le couteau tomber par terre, et je m'appuyais, dos au mur.
Aaaah...
Les gens ont tendance à croire que c'est très simple de se suicider, mais il n'en est rien.
Pour bien vous le faire comprendre, je vais prendre l'exemple du couteau, parce que c'est ce que je connais de mieux.
Quand vous vous retrouvez avec votre couteau, bien affuté pour une efficacité parfaite, normalement, vous vous asseyez à une table, l'arme devant vous, et vous réfléchissez.
''Où est-ce que j'enfonce et comment je vais enfoncer ce couteau ?''. Eh oui, il faut bien réfléchir avant même de tenter !
Vous aurez beau vous triturer les méninges, c'est très compliqué, surtout que je vous parle d'une époque où G**gle n'existait pas. Et, il n'y avait même pas de vidéo éducatives sur la meilleure manière de le faire, pas comme aujourd'hui.
Donc, après avoir bien réfléchi, vous décidez, par exemple, de vous tailler les veines. Méthode très effective, beaucoup de gens l'utilisent. Mais saviez-vous que le suicide demandait énormément de courage ? Commettre cet acte, c'est aller à l'encontre de ce que notre instinct veut, de votre besoin de vivre. Si vous n'y arrivez pas, si vous êtes trop lâche pour abandonner la vie, laissez-vous le temps et gardez l'espoir. Si vous êtes assez désespéré(e), alors faites.
Paf ! Le sang gicle de partout, trop bien ouais !!! Mais est-ce que vous pensez que c'est fini ? Non, loin de là. Maintenant, il faut REUSSIR votre suicide. Et ce n'est pas forcément gagné. Saviez-vous que, selon un certain site, seulement 1,2 à 6 % des tentatives comme vous souhaitez le faire connaissent le succès ? Donc, dans minimum 94% des cas, les tentatives foirent.
Là, il y a deux routes:
-soit vous voulez vivre, finalement, et là, il faut vraiment vite faire du bruit, histoire qu'on vienne vous chercher en urgence. Ensuite, vous irez à l'hôpital plus ou moins longtemps, et vous aurez des cicatrices. Des fois, ça peut être bien plus grave. Pendant longtemps, vous aurez honte de vos cicatrices, je vous le promets.
-soit vous êtes complètement déglingué de la tête, vous n'avez vraiment aucun espoir, et vous attendez la mort avec patience. Normalement, ça prend environ deux longues heures de mourir d'une exsanguination normale. Par la gorge, c'est un peu plus rapide, parce que vous vous étoufferez avec votre sang, mais c'est aussi beaucoup plus abominable comme souffrance. Vous allez vous étouffer avec votre propre sang, est-ce que vous pensez vraiment que ça vaut le coup ?
Dans tous les cas, ça fait très mal, et c'est vraiment horrible. J'espère sincèrement que vous aurez eu la force de réfléchir et hurler au secours tant que c'est possible.
Donc, le suicide est contre-productif. Moi-même, j'ai tenté quatre fois, à plusieurs endroits, et ça ne marche jamais. C'est juste de la douleur pour rien. En plus, après, il faut aller voir un psy. Vous imaginez la honte, quand vous revenez une quatrième fois chez le même petit vieux, et qu'il vous regarde comme si vous étiez complètement frappadingue, alors qu'il a dû connaître les T-rex quand il était jeune, et qu'il est plus à même de parler de démence que n'importe qui ?
Ce jour-là, en tout cas, je ne fis pas seppuku, ni rien. J'étais bien trop secouée pour le faire. Je vomissais pendant une dizaine de minutes, puis je me levais en titubant, allait vers ma sœur, la mettait sur mon dos, et je l'amenais à la maison.
Elle pesait cinquante kilos, et je n'étais pas forcément habituée à porter des légumes humains. Je lui soufflais de tenir bon, mais au fond, je crois que je disais surtout cela pour moi. J'étais responsable de sa mort psychique, qu'on soit bien d'accord. J'étais la pire des grandes sœurs, le genre qui méritait de mourir. Mais à ce moment là, le plus important, c'était de la ramener à la maison.
Enfin...On y est presque, Hinata, tiens bon…
Quand je suis arrivée à la maison, toute couverte de sang, ma sœur sur le dos, mes parents ont vraiment eu très peur. Comment le dire… Je crois que je minimise leur frayeur.
Ma mère a fait une crise d'épilepsie, et mon père est resté figé sur place pendant dix minutes. Je crois qu'il s'est évanoui debout.
Quand ma maman est tombée par terre, et qu'elle a commencé à trembler de manière épouvantable, comme si Akuma la possédait, j'ai eu très très peur. Heureusement que j'ai une amie épileptique…
Je suis partie chercher un coussin, et je l'ai placé sous la tête de ma mère. Puis, je l'ai posée en position latérale de sécurité, et j'ai attendu que la crise se finisse.
J'ai attendu en regardant son corps se trémousser comme une danseuse de pole-dance pendant une bonne dizaine de minutes. Dans le silence le plus total, avec ma sœur qui respirait bruyamment et moi absorbée dans mes pensées déprimantes.
Au bout de ce délai, mon père a repris conscience subitement, et ma mère en même temps. Ils sont vraiment synchronisés, ces deux-là. C'est drôle à voir. Je pense qu'en vous racontant ma vie, ça reviendra sûrement souvent.
Grand-mère dort, selon eux. En vérité, elle doit être en train de se ronger le moral, et elle doit avoir beaucoup de mal à rester dans sa chambre avec l'agitation à l'étage en-dessous.
Ma sœur était allongée sur le canapé, pâle comme la Mort. Mon père a contemplé la scène, puis il a sorti son téléphone à clapet dans la précipitation. Il a appelé le 119 et je l'ai entendu hurler au combiné. C'était urgent, sa fille avait été mise minable par un homme, vraisemblablement, et elle allait vraiment pas bien. Il leur a ordonné de se bouger le fessier, sinon il allait l'emmener, lui, ils allaient voir. Jamais je ne l'avais vu aussi anxieux et furieux.
Une ambulance est venue fissa, cinq minutes après l'appel. En sortant du véhicule, ils étaient surtout lassés. J'imagine qu'ils s'attendaient à un cas typique, c'est-à-dire un papa surprotecteur qui exagère les choses. Mais une fois entré en contact avec Hinata, ils sont tous devenus livides en même temps, et leur chef a hurlé qu'il lui fallait un brancard dans la minute à suivre.
Un commando d'infirmiers est entré dans la maison, et tous se sont précipités dans l'ambulance avec ma petite sœur.
Mon père m'a dit d'aller avec eux, histoire de savoir où sera le futur lieu de résidence de sa fille, histoire qu'il puisse au moins savoir où aller pour la visiter. J'ai accepté sans broncher: ils n'allaient pas du tout bien, je ne voulais pas les forcer à passer à travers ça.
Juste avant, je suis montée voir ma grand-mère, histoire de la rassurer. Je ne voulais pas la laisser démunie, avec juste mes parents complètement effondrés. Quand je suis rentrée, j'ai eu un choc. Encore une fois.
Dans la pièce éclairée par la lune, il y a une silhouette qui se balance au bout d'une corde. Droite, gauche, droite, gauche. Le vent rentre par la fenêtre ouverte. Les rideaux se balancent au rythme des mouvements d'air.
Une lettre est posée sur le kotatsu , scintillant d'un air lugubre et presque vivant.
Mamie…Pas toi...